L'illétré
Pour le premier poète de ma vie, illétré,
qui savait juste signer son nom,
mais qui savait tant toucher mon coeur
avec ses mots fleuris et parfumés..
toi, mon "grand-tonton" qui me manque tant..
tu n'avais pas ce qu'on appelle la "culture", tu avais la sincérité..
et il n'y a bien que toi qui savait me réconforter.
C'est toi le premier qui m'a appris que
l'important n'est pas dans le "savoir"
mais que les plus grandes noblesses,
les plus grandes vérités, la plus belle intelligence,
c'est tout simplement le langage du coeur..
Et celui là, tu le parlais si bien...
jusqu'à me faire venir des larmes de douceur..
c'est moi que tu as choisie pour accompagner tes derniers instants,
moments d'une grande émotion que j'ai reçus comme un présent ;
oh je n'étais pas bien fière ce jour là,
après avoir recueilli ton dernier souffle
mais avoir vécu notre complicité jusqu'au bout
a tellement adouci ma peine...
j'espère que là où tu es,
les balcons n'oublient pas de revêtir leurs parures de perles
et que les abeilles, bavardes,
continuent de se raconter des histoires dans le coeur des fleurs
afin de les rendre plus merveilleuses encore par leurs belles couleurs..
L'ILLETRE
Devant les bois, les blés, j'étais béat benêt :
Je lisais ce qui ne se lit pas :
Les nuages, les vents, les rochers, les ébats
De la lune dans les bois.
Et le ciel avec son grand étang courbé
Où le soleil tout le jour accroît son caillou
Onde par onde, et le déferlement changeant
Des nuages disposaient de moi.
Les arbres tournaient lentement en moi
Leurs pages tantôt bruyantes, tantôt muettes,
Tantôt épaisses et jaunies, les saisons
Me donnaient des leçons.
Armand Robin (1912-1961)